Des trois grandes spécialités que produisait le Gâtinais, le miel, le safran et le vin, seul ce dernier a totalement disparu (si l’on excepte les quelques
arpents conservés à des fins de consommation familiale)
Le plus ancien texte faisant référence à la vigne dans le Gâtinais date de l’année 844 et à partir du XIè siècle le vignoble est cité de
façon fréquente.
L’apogée de ce vignoble se situe entre le XI et le XIIIème siècle ; en 1225 Henri d’Andeli, dans un fabliau devenu célèbre sous le nom de «
La Bataille des Vins », avait retenu les vins du Gâtinais parmi sa liste des soixante treize meilleures variétés de vins du
royaume.
Le vignoble du Gâtinais allait garder une grande réputation jusqu’au début du XVII è siècle. En 1630, Don Morin, dans son histoire du
Gâtinais, écrivait en parlant de Beaune en Gâtinais «…assise entre le bon vignoble qui ne cède rien à celui du vin de Champagne
»
Le vin du Gâtinais étant fort apprécié et la demande parisienne assez forte, on constata tout naturellement une augmentation importante de
la production. On planta alors des cépages plus productifs, de meilleur rendement sans doute, mais de qualité inférieure. Il s’en suivi
une baisse très nette de la qualité et une désaffection pour ce vin ; le vin du Gâtinais devint vite synonyme de vin de mauvaise
qualité.
C’est le phylloxera qui eut raison des dernières vignes entre 1880 et 1900.
Mais à la différence de la plupart des autres vignobles, on ne replanta que peu de vignes dans le Gâtinais, les souvenirs du mauvais vin étant resté ancrés
dans les mémoires. Les cépages replantés étaient des cépages hybrides américains tels que le Noah ou l’Othello, ou encore un hybride français le
Gaillard-Girerd
Les vignes étaient principalement cultivées dans les cantons de Bellegarde, Beaune la Rolande, Pithiviers, Puiseaux, Ferrières, Chalette et Montargis pour le
gâtinais Orléanais et dans les cantons de Château Landon, La Chapelle la Reine, Lorrez le Bocage, Nemours et Moret sur Loing pour le Gâtinais
Français.
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Quels étaient les cépages cultivés dans l’ancien vignoble du Gâtinais ?
Le fonds du vignoble du Gâtinais était constitué essentiellement de Gouais, de Meslier Saint François et d’Auvernat.
A ces trois principaux cépages s’ajoute toute une liste de cépages plus ou moins cultivés selon les sites et les époques. Les vignerons sélectionnaient les
cépages en fonction des qualités propres à chacun d’eux (productivité, résistance à la gelée ou aux maladies, coloration du jus, etc.), mais c’est surtout
le rendement qui, au détriment de la qualité, était recherché.
De nombreux cépages cités ci-après ont totalement disparu du paysage viticole français.
Cépages de la famille des gouais (gouas, gouet, goet, gois)
Le Gouais blanc est sans doute l’un des plus vieux cépages cultivé en France, largement répandu dans l’ensemble des
vignobles français du centre et septentrionaux.
Les recherches en génétique ont pu démontrer qu’associé au pinot noir, il est l’ancêtre de nombreux cépages actuels tels que le chardonnay, le gamay,
l’aligoté, le melon etc.
L’ampélographe Pierre Galet citant A. Berget écrit « ce nom de Gouet- dont le pluriel est gouaulx-aurait une signification péjorative, tiré de l’adjectif « gou » terme de mépris désignant des vignes médiocres »
Le gouais est un cépage blanc, rustique, assez prolifique mais donnant un vin de piètre qualité, acide, peu alcoolique et sans bouquet. Il serait originaire
de Champagne. (3)
Le gouais noir était très apprécié, mais beaucoup moins pour la saveur de son vin que pour ses grandes qualités colorantes, puisqu’il avait la réputation de pouvoir colorer dix fois son volume. Le docteur Gastelier écrivait en 1779 « Les vins
du Gâtinais sont très colorés ; on les boit dans la province comme on les recueille ; mais dans le commerce ils sont employés à couper des vins
blancs ou des vins rouges qui manquent absolument de couleur. Ils ont le mérite de se mêler à tous les vins sans diminuer leur qualité ; ils sont propres à
les conserver et à les soutenir.
Cette propriété les fait rechercher et ils se vendent aussi cher et quelquefois plus chers que la plupart des vins orléanais »
Il existait également un gouas doré, sans doute une version rose ou dorée du gouais blanc.
Le pernellet serait une variété de gouais noir, selon Christian Poitou, qui était apprécié dans certaines communes du
Gâtinais pour son importante production.
Le gouais n’est aujourd’hui plus cultivé, on en trouve seulement quelques pieds dans les conservatoires de cépages ; faut-il s’en réjouir ? Outre la perte
d’une variété botanique toujours préjudiciable à la sauvegarde de la biodiversité, qui sait si un vigneron actuel avec des méthodes de culture et de
vinification modernes ne saurait donner à ce cépage quelques lettres de noblesse ?
Le Meslier-Saint-François (mêlier, meslier blanc, gros meslier, meslier du Gâtinais, meslier d’Orléans)
C’est un cépage blanc qui a son origine dans le Gâtinais même. On l’appelait souvent meslier du Gâtinais et constituait l’essentiel des vignes de la région au
XVII et XVIII è siècle.
D’après les analyses génétiques il est issu d’un croisement entre le gouais blanc et le chenin.
En dépit d’une production irrégulière, ce cépage blanc donnait un vin ordinaire de qualité quoique assez acide ; c’est sans doute à lui que les vins blancs
du Gâtinais devaient leur bonne réputation au moyen-âge.
Le meslier-Saint-François est encore un peu cultivé de nos jours, essentiellement dans les vignobles du Pays Nantais et de Charente, mais sa production est
pour l’essentiel distillée, donnant une eau de vie fine et bouquetée.
C’est un cépage également en voie de disparition. Il est fort dommage que le Gâtinais n’en garde aucun souvenir.
Cépages de la famille de l’auvernat (auvenois, auvernas,)
Jacques Boulay dans son ouvrage sur le vignoble d’Orléans paru en 1723 dit de lui « Le meilleur et le plus précieux de tous les vins qui se cueillent
dans ce vignoble est l’Auvernat. Il y en a de six espèces ; savoir, l’auvernat teint, le more, le rouge, le gris et deux espèces de blanc, qui sont
l’Auvernat blanc de Solers, et celui du pays bas »
Ce cépage a été identifié comme étant le pinot noir, originaire de Bourgogne, cultivé en Auvergne et arrivé dans l’Orléanais et le Gâtinais par voie
fluviale. On comprend bien alors pourquoi Jacques Boulay trouvait tant de qualités à ce cépage ! Il rajoute « L’Auvernat rouge…n’est jamais meilleur
que quand il est fait sans aucun mélange d’autres raisins, et il a ordinairement autant de couleur et de force qu’il lui en faut, non seulement
pour se soutenir lui même, mais encore pour faire passer d’autres vins de moindre qualité… »
On pense que le pinot était déjà cultivé en Gaulle au moment de l’arrivée des Romains ; il a été planté dans tous les vignobles de l’Europe septentrionale et
centrale. C’est le cépage rouge de base des vignobles de Bourgogne et de Champagne.
Le madeleine noir, que l’on appelait également morillon hâtif est apparenté au pinot noir ; il doit son nom à la date de
la sainte Madeleine, date à laquelle les premières récoltes de ce raisin pouvaient être faites. Une variété blanche (madeleine blanche ou morillon blanc
hâtif) coexistait avec la variété noire.
Le gris meunier, griset ou muscade dans le Loiret et plant de Brie ou morillon taconné plus particulièrement dans le
Gâtinais, ne serait pas selon Jacques Boulay de l’Auvernat gris, mais le formenté (fromenté, fromenteau) ou bourguignon. Par contre, Pierre Galet considère
que c’est bien le pinot gris. Il est actuellement toujours cultivé dans le vignoble d’Orléans et surtout en Champagne. Il donne un vin de couleur jaune
doré aux arômes agréables.
Autres cépages
Le samoreau (samoireau, saumoireau, samoriau)
Ce plant serait arrivé dans le Gâtinais sous l’appellation de plan du Roi pendant le règne de François 1er. Il a été assimilé au côt de cahors ou auxerrois
qui est toujours très cultivé dans le Sud-ouest, en Bordelais et dans la vallée de la Loire.
Jacques Boulay citait le samoireau mignon ou tendre, le samoireau dur, le samoireau teint et le samoireau fourchu, qui était pour lui le meilleur de
tous.
Le gennetin.
Il est difficile de retrouver la trace de ce cépage blanc qui est mentionné par J Boulay. Il était appelé aussi muscat de Saint Mesmin ou petit muscat. Ce
n’était sans doute pas un muscat mais vraisemblablement un sauvignon.
Selon cet auteur on en faisait un vin de liqueur, bien plus appréciable que le vin blanc sec car il s’exportait mieux en Flandres, en Hollande ou en
Angleterre. Celui-ci rapporte « Pour rendre ce vin meilleur on ne se contente pas de voir son raisin dans sa parfaite maturité, et même à demi
pourri, on attend encore quelquefois que la gelée ait donné dessus, afin d’avoir du vin, qu’on appelle bouru » Cela ne rappelle-t-il pas nos
vendanges tardives ou encore les
vendanges de raisin touché par la fameuse « pourriture noble » ?
On raconte qu’au XVIIIe siècle, les limonadiers et cabaretiers de Paris vendaient souvent le vin de grenetin pour le vrai muscat de
Frontignan
Le gamay du Gâtinais (gamais noir, bourguignon noir)
C’est le fameux gamay du Beaujolais, qui est toujours largement répandu en France.
Il existait aussi un gamay teinturier appelé également gros noir, peu abondant mais très coloré.
Le gamay blanc.
Il n’a jamais été trouvé de forme blanche du gamay noir. Le nom de gamay blanc devait sans doute désigner le melon de Bourgogne. Ce cépage est toujours
cultivé dans le pays nantais sous le nom de muscadet.
Le Pinot blanc chardonnay
Ce n’est pas la variété blanche du pinot noir ; il est connu maintenant sous le seul nom de chardonnay, nom de la commune de Saône-et-Loire où il était
cultivé. Il constitue actuellement le principal cépage blanc de Bourgogne et de Champagne. Sa réputation n’est plus à faire.
La framboise (framboisé)
Mieux connu actuellement sous le nom de Romorantin, ce cépage issu d'un croisement entre le pinot teinturier et le gouais, avait également une originaire bourguignonne; il avait été importé dans
le Loir et Cher par François 1er qui avait une résidence à Romorantin. Il constitue aujourd'hui l'encépagement unique du vignoble de Cour Cheverny.
L’arbois.
Son nom viendrait non pas de la commune d’Arbois dans le Jura mais plutôt d’orbois ou orboué. Ce cépage vigoureux donnait un vin blanc peu acide donnant de
la souplesse aux vins auquel il était mélangé; il est toujours cultivé dans le Loir-et-Cher et dans l’Indre mais est en voie de
disparition.
Le chasselas (chasselas doré de Thomery, Chasselas de Fontainebleau)
Ce cépage est mentionné par E Thoison (6), mais peut-être n’existait-il que dans le Gâtinais Français car les autres auteurs restent muets à son
sujet.
Il était cultivé à Thomery où il a été importé de Suisse (en passant sans doute par la commune de Chasselas en Saône-et-Loire).Il était principalement
cultivé comme raisin de table bien connu sous le nom de chasselas de Fontainebleau.
Comme cépage de cuve on le trouve aujourd’hui principalement en Suisse (le fendant), en Alsace (le gutudel ), en Savoie ( le bon blanc)et dans la Nièvre où
il constitue l’encépagement de l’appellation Pouilly-sur-Loire.
Le franc noir du Gâtinais (gascon, haute plaine)
Vieux cépage de l’Yonne faisant un vin peu alcoolique mais recherché, selon Pierre Galet, par les négociants parisiens pour rafraîchir certains vins du
Midi.
Ce cépage est encore utilisé dans l’Indre, le Loiret et le Loir-et-Cher, mais est en voie de disparition.
Le rochelle blanc et le rochelle noir
L’identification de ce cépage est délicate.
Christian Poitou rapporte que, très estimé au XVIIe siècle, il devait son nom au fait qu’il était exporté vers la Hollande par le port de la Rochelle
et devait correspondre sans doute à la folle blanche ou gros plant cultivée en Vendée et dans le pays Nantais.
Mais il n’existe pas de forme noire connue de cette folle blanche…. (Le cépage désigné quelquefois sous le nom de folle noire est en fait le jurançon noir ou
la négrette).
Le sarciaux (cerceau)
Ce cépage blanc originaire de l’Allier y était connu sous le nom de Saint-Pierre doré. Il aurait été introduit dans le Loiret par un certain Cerceau. Il fait
toujours partie de l’encépagement du Saint- Pourçain, mais est en forte régression.
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Avant la crise du phylloxera tous les vignobles de France cultivaient de nombreux cépages, le vignoble du Gâtinais n’échappait pas à cette tradition. En une
vingtaine d’années le phylloxera a anéanti et touché tous les vignobles ; le Gâtinais, qui avait déjà beaucoup souffert, ne s’en remettra
pas.
Mais le principal dommage causé à ce vignoble, depuis bien plus longtemps, était en fait la surproduction de vins médiocres. On avait eu trop souvent
tendance à arracher des plants de bonne qualité mais au rendement faible et à la culture délicate, tels l’auvernat, pour les remplacer par des vignes plus productives, à meilleur
rendement comme le gouais, le gamay ou le samoreau.
Pierre Lubert
Membre du Lions Club MONTARGIS RIVES DU LOING